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Un armement marseillais
Un paquebot hors du commun
Il y a cinquante ans se déclenchait en Algérie une " rébellion " qui devait se terminer sept ans plus tard par lexode massif des " Pieds noirs " et dune infime partie des musulmans qui désiraient rester Français.
Larmement marseillais " La Compagnie de Navigation Mixte ", " C.N.M. " sest particulièrement distingué lors de cette évacuation. Cest de lui, et de lun de ses navires dont nous parlerons ici.
Tout dabord, pourquoi ce nom de " Navigation Mixte "? Non pas, comme on pourrait le croire, parce que ses navires prenaient aussi bien du fret que des passagers, mais parce quelle fut créée, sous légide de larmement marseillais TOUACHE, en vue de la construction de navires à voiles et à vapeur*1, au moment où lhélice fut reconnue comme moyen propre à la propulsion. Le premier navire commandé fut le " Du Tremblay "; (quelques prédécesseurs italiens : Ferdinando et Royal Ferdinand, mais cétaient des navires à roues, donc peu manœuvrant et surtout vulnérables par gros temps). La construction en fut confiée aux " Forges et Chantiers de la Méditerranée " à La Seyne-sur-Mer.
La Mixte resta lun des clients les plus fidèles des chantiers seynois, jusquà la création de La Compagnie Générale Transméditerranéenne en 1969, le dernier navire construit pour son pavillon étant lAVENIR.
Dans la longue liste des navires construits pour son compte à La Seyne (en particulier la remarquable série des " El Mansour, El Goléa, El Djezaïr, etc. "), le KAIROUAN mérite que lon sintéresse un peu plus longuement à lui.
Conçu et commandé début 1939, sa vitesse de 25 nœuds*2 devait lui permettre de faire la traversée Marseille-Alger en une nuit, ce qui lui valut, mais bien plus tard, son surnom de " Paquebot dune nuit ". Là nest pas toutefois ce qui peut le caractériser. Le principe et les avantages de la propulsion électrique avaient été mis en évidence sur le paquebot NORMANDIE de la Compagnie Générale Transatlantique : elle permet en effet de saffranchir de la contrainte davoir la source de puissance (turbines) au même niveau et dans lalignement des hélices, de supprimer la (ou les) turbine de marche arrière, le réducteur à engrenages entre turbine(s) et ligne(s) darbre(s), enfin la puissance totale reste disponible en marche arrière, le renversement de marche étant aussi plus rapide.
La propulsion du NORMANDIE était en courant continu. Pour le KAIROUAN, il fut décidé dopter pour lalternatif à fréquence variable en 3300 Volts, ce qui, pour lépoque, était assez audacieux.
Lensemble de lappareil propulsif comprenait donc deux moteurs synchrones de 8900 kW à environ 190 tours/minute, alimentés chacun par un turboalternateur, avec, bien entendu possibilité de permutation ou dalimentation des deux moteurs par un seul des deux groupes générateurs. Linversion du sens de marche se faisait par inversion de deux des phases, lexcitation des moteurs synchrones coupée, redémarrage en asynchrone et ré excitation ; le temps nécessaire était de lordre de quelques secondes, contre un minimum dune vingtaine en propulsion classique.
Ces caractéristiques permirent au KAIROUAN de " battre " des navires dont la vitesse de pointe était légèrement supérieure, mais qui navaient pas ses qualités manœuvrières lors de lappareillage et de laccostage.
Ce nest que dans les années 80 que ce type de propulsion fut repris pour un paquebot de croisière pour un armement monégasque, aujourdhui disparu.
Pour le reste, le KAIROUAN, assez luxueux au demeurant, ne se distinguait guère des autres navires de son époque si ce nest par un détail : sa coque blanche et ses œuvres vives peintes en vert.
Donc, conçu en 1939, le KAIROUAN ne fut mis en service quen 1951 ! Entre-temps, il eut quelques aventures sortant plus ou moins de lordinaire.
La déclaration de guerre provoqua, bien évidement, du retard dans le déroulement de la construction, et le lancement neut lieu quen janvier 1942. Dans un premier temps, les Allemands autorisèrent la poursuite des travaux. Sans doute avaient-ils lintention dutiliser ensuite le navire à des fins plus ou moins militaires. Puis, ils changèrent de politique, et les travaux furent interrompus, le navire quittant le quai darmement des F.C.M. pour être amarré, fin mars 1943, sur un coffre dans le port de La Seyne. Il ny restera pas longtemps : le 1er avril (!!!) il rompt sa chaîne et part à la dérive. Rapidement rattrapé, il est ramené à quai, puis à nouveau mis sur coffre. Avec la complicité de maître " Mistral ", il réitère une semaine plus tard, et cette fois va sempêtrer dans les filets anti-sous-marins qui barrent la passe.
Pour ceux qui connaissent la rade de Toulon, cest vraiment un exploit que dêtre, sans personne à bord, allé embouquer la passe.
Alors que des remorqueurs tentent de le dégager, lune des mines magnétiques du dispositif de fermeture de la passe explose : deux des remorqueurs coulent immédiatement, deux autres sont gravement endommagés. Quant au KAIROUAN, il est libéré des filets et prend tranquillement la direction de GIENS (ce nest pas tout droit !).
Enfin rattrapé, il est ramené à quai aux F.C.M.
Le 15 août 1944 a lieu le débarquement de Provence. Deux jours après, les Allemands essaient de bloquer la passe du port de Toulon en y coulant des navires. Ils sabordent dabord un paquebot italien, le VIRGILIO, puis le KAIROUAN. Celui-ci, au lieu de couler bien sagement, va sappuyer par son arrière sur le VIRGILIO, lavant sur le fond et sinclinera sur le flanc denviron 45 degrés : la passe restera praticable.
Après la Libération, alors que la Marine Nationale souhaite découper et détruire à lexplosif les coques qui obstruent la passe, le Président de la Mixte, M. Édouard De Cazalet, finit par obtenir, grâce à son acharnement, que le KAIROUAN soit renfloué. Un contrat est donc signé en février 1945 avec la société Serra et les travaux commencent, non sans maintes difficultés du fait de la pénurie de matières.
Il fallait, entre autres choses fabriquer dénormes flotteurs pour redresser puis soulager lépave.
Enfin, en juillet 1946, les travaux préparatoires commencent, les flotteurs sont en place et la date du 26 est retenue pour redresser le navire. Dans la nuit du 25 au 26, le KAIROUAN, de son propre chef, se remet daplomb...
Tout semble devoir se dérouler maintenant sans problème majeur, mais le ponton sur lequel se trouve le matériel, et en particulier les gros compresseurs dair, coule.
Enfin, les difficultés de remplacement résolues, le navire est " à flot " le 27 septembre, et il est remorqué vers des fonds permettant de ramener le tirant deau à une valeur autorisant lentrée dans le bassin de radoub, quand, sans doute à la suite dune fausse manœuvre, le KAIROUAN retombe sur le fond et une nouvelle brèche souvre sur son arrière.
Un nouveau contrat est signé en mai 1947 avec la Société Auguste Marcellin et les travaux reprennent en juin. Cette fois, la série des gros " pépins " est terminée, et le 10 novembre, le KAIROUAN est à sec dans le bassin Vauban dans lArsenal de Toulon, la coque peut être nettoyée et réparée.
Les Forges et Chantiers de la Méditerranée étant surchargés de travail du fait de la reconstruction de la Flotte, le navire sera remorqué le 22 juin 1948 vers les Chantiers Navals de La Ciotat pour y être remis en état et terminé.
Les matières premières étant encore rares, il fallut, entre autre, récupérer le cuivre et les tôles des machines électriques pour en refaire des neuves... Lachèvement était prévu pour le printemps 1950, mais, du fait du long séjour dans leau de mer, bien des difficultés surgirent et les travaux prirent du retard. Surcroît de malchance, le 26 mai, un incendie se déclare et détruit la passerelle et tout le pont des officiers. Le KAIROUAN ne fut finalement terminé quen juillet 1950, et sa mise en service eut lieu début 1951, car il fallut entre-temps changer les hélices, sources dimportantes vibrations.
La suite de lhistoire du KAIROUAN sera celle de la plupart des paquebots, émaillée dincidents ou davaries plus ou moins graves, mais somme toute ordinaires.
Après 1962, le trafic vers lAlgérie indépendante fut considérablement réduit. Le KAIROUAN fut alors utilisé pour des croisières en Méditerranée ; cependant, conçu pour des voyages courts, il rencontra des problèmes de réapprovisionnement en combustible.
Néanmoins, il resta en service, toujours sous pavillon de la " Mixte " jusquen 1973, faillit être acheté par un armateur japonais, mais finalement fut vendu à un chantier de démolition espagnol.
Le dépeçage commença début 1974.
Claude BONNEFOY (Supélec 1958)
Revue des Supélec Flux mars-avril 2005 n°234 page 13
* Note WM : (Bernard Bernadac - Le paquebot Kairouan page 104)
1 - le nom de Compagnie de Navigation Mixte ne vient pas de "voile et vapeur", mais des vapeurs combinées : vapeur deau et vapeur déther.
2 - Le Kairouan était le navire le plus rapide en vitesse pure : 24 noeuds en exploitation , contre 21 noeuds pour les "Ville" de la Transat.
Il dépassa les 25 noeuds lors d'un voyage , mais la consommation en mazout fut gigantesque, et lexpérience ne fut pas renouvelée.
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Paquebot Kairouan |
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